Un grand pied d’asperge esseulé dans les friches du parc du peuple de l’herbe attire mon attention. C’est là sans doute une relique d’une ancienne culture maraîchère ou d’un potager autrefois établi sur cette terrasse alluviale de la Seine à Carrières-sous-Poissy. Je m’approche doucement dans l’espoir de rencontrer le criocère de l’asperge, une de nos plus jolies Chrysomelidae, et aussi un ravageur redouté pour ceux qui cultivent cette plante.
Il se chauffe au soleil, à la base d’une grosse tige !
Le voici de profil. En haut à gauche de cette photo, on peut voir deux de ses œufs bruns fixés sous une feuille. Les larves de cette espèce consomment les parties aériennes de l’asperge, affaiblissant les pieds et compromettant le rendement en turions l’année suivante. Les adultes peuvent aussi grignoter les pointes des asperges.
Une autre espèce de criocère fréquente aussi les asperges : le criocère rouge à douze points noirs. Mais ses larves ne se nourrissent que des baies de l’asperge.
Tableau d’honneur pour Thierry Munier, car l’énigme était particulièrement difficile !
Ceci n’est pas une graine mais bien un insecte. Lorsqu’il est inquiété, il se laisse tomber et cache sous son corps ses antennes et ses pattes repliées qui viennent se ranger dans des loges parfaitement ajustées.
Le voici qui reprend confiance. C’est un coléoptère. Ses antennes me rappellent celles du petit silphe noir. Mais ce n’est pas un Silphidae, je l’ai finalement trouvé dans une autre famille, celle des Byrrhidae.
Dans cette famille, l’espèce Byrrhus pilula est connue pour ce comportement d’évitement et de dissimulation en cas de danger. On le nomme pilula justement en référence à l’allure étonnante qu’il prend quand il est replié.
Dans la littérature scientifique, il est indiqué qu’on trouve en général cette espèce cachée sous les pierres et qu’il consomme de la mousse, tout comme sa larve. Le mien se tenait assez haut sur une tige de graminée. Peut-être était-il en quête de l’âme sœur ?
1 – 3 – 2 -1, ce n’est pas la disposition des joueurs d’une équipe de foot à sept, mais bien celle des taches blanches qui ornent chacune des deux élytres de la coccinelle à 14 points. Cette coccinelle rousse à points blancs vit essentiellement dans les arbres à feuilles caduques. Elle y chasse des pucerons, des psylles et aussi des acariens. Celle-ci, je l’ai trouvée au sommet d’une eupatoire au bord de l’étang du parc du château de Grouchy à Osny, il est vrai sous des aulnes. L’adulte passe l’hiver dans la litière.
Une auxiliaire efficace pour les vergers
Calvia quatuordecimguttata fréquente souvent les pommiers, les poiriers et les pruniers, du moins ceux qui ne reçoivent pas de pesticides, car elle y est très sensible !
Cherchant un peu de fraicheur par ces temps de canicule, je suis allé traquer les petites bêtes dans les serres tunnels de l’association ACR à Vauréal. Sur les aubergines cultivées sans pesticides, j’ai observé quantité d’insectes très variés dont cette minuscule coccinelle poilue : Platynaspis luteorubra. La larve de cette espèce peu commune consomme des pucerons, elle est signalée pour sa capacité à vivre sans être inquiétée dans les fourmilières de certaines espèces de fourmis qui élèvent des pucerons dans le sol.
Voici quelques autres observations faites dans ce rang d’aubergines :
La coccinelle à damier est un auxiliaire très efficace pour réguler les colonies de pucerons au jardin.
Villa Hottentotta est un diptère parasite des noctuelles.
Isodontia mexicana capture des sauterelles vertes pour nourrir ses larves.
Catoptria pinella est un Crambidae forestier dont les chenilles consomment des graminées. Il s’était un peu égaré à l’entrée de la serre.
Super les légumes bio, pour observer les insectes !
On y retournera, peut-être quand il fera moins chaud…
La coccinelle des friches ressemble à la coccinelle à sept points mais elle est de forme plus allongée et ses points sont groupés vers l’arrière de ses élytres.
J’aime beaucoup le dessin en noir et blanc qui évoque une tête de panda ou de ouistiti sur son thorax (encore une paréilodie !).
Cette coccinelle apprécie les plantes hautes dans les endroits chauds. Plusieurs générations se succèdent dans l’année. Elle consomme beaucoup de pucerons, mais aussi des cochenilles, du pollen, du nectar et du miellat.
C’est une auxiliaire très active au potager et au verger.
La bryone est une plante grimpante vivace dioà¯que. Elle s’invite souvent dans les haies. L’hiver, elle disparaît complètement mais repousse vigoureusement chaque printemps depuis son énorme racine charnue.
Cette plante héberge une petite faune spécifique très intéressante :
Sur les pieds femelles, on rencontre parfois un diptère Tephritidae du nom de Goniglossum wiedemanni. Cette petite mouche très bigarrée ne pond que dans les fruits de la bryone.
Les pieds mâles sont très souvent visités par de petites abeilles solitaires. Andrena florea vient y collecter le pollen indispensable à ses larves.
Et les feuilles des pieds mâles et femelles sont broutées par Henosepilachna argus, une coccinelle poilue et végétarienne.
Les larves de ces coléoptères, hérissées de piquants, sont encore plus voraces que les adultes.
Le 21 juin 2019, nous organisions pour un groupe d’étudiants et de professeurs de l’Université de Cergy-Pontoise un inventaire des coccinelles des espaces naturels proches du campus de Neuville-sur-Oise.
Sans surprise, nous avons rencontré en divers endroits la coccinelle à sept points, une des plus communes de la famille.
Adalia bipunctata est une espèce très variable, nous l’avons vue dans trois formes différentes, également sur les chênes, mais aussi dans les friches, sur les tanaisies.
Les tanaisies, souvent attaquées par des pucerons, sont de bonnes plantes pour l’observation des coccinelles. Hippodamia variegata est une petite coccinelle allongée, dont les points sont majoritairement situés sur l’arrière des élytres. Son pronotum présente un motif en noir et blanc qui me rappelle une tête de panda.
Il nous manquait encore les coccinelles à points blancs ! En examinant les feuilles des arbres, une étudiante a capturé la petite Vibidia duodecimguttata, une mangeuse de champignons. Vue du dessus, six points blancs forment une couronne.
Trois autres coccinelles déjà observées sur le site n’ont pas été retrouvées lors de l’inventaire. Les voici :
Psyllobora vigintiduopunctata, la coccinelle à vingt-deux points consomme aussi des moisissures.
Oenopia conglobata, la coccinelle rose, est une carnassière qui chasse dans les arbres les psylles et les pucerons, mais on l’observe parfois sur les plantes basses en lisière.
Propylea quatuordecimpunctata, la coccinelle à damier, a deux générations par an. On la rencontre en avril puis en plein été.
Cette coccinelle méridionale, classique en Provence-Alpes-Côte d’Azur et en Occitanie, semble en expansion récente vers le Nord. Ces douze derniers mois, elle a été signalée quatre fois en Ile-de-France sur Cettia, la plateforme naturaliste de l’Agence régionale de la biodiversité : à Roissy-en-Brie (77), Gagny (93), Choisy-le-Roi (94) et Gonesse (95). Cette espèce a même été vue en baie de Somme, ce qui semble être sa limite nord actuelle.
Ceratomegilla undecimnotata est utilisée en lutte biologique, elle est vendue pour lutter contre le puceron jaune du laurier-rose, sous le nom commercial de Coccilaure, une souche réputée incapable de voler et donc de se disséminer dans la nature.
Un couple de Malachius bipustulatus se livre à un étrange tête-à -tête. Un autre mâle regarde la scène.
Contrairement aux apparences ce n’est pas une lutte, mais une parade nuptiale. Le mâle, plus petit, est en haut. Il applique les premiers articles de ses antennes sur le front de sa partenaire. Une substance sécrétée par la base de ses antennes est censée mettre la femelle en bonne disposition pour l’accouplement.
Chez cette espèce, le mâle se reconnaît aux excroissances jaunes qui ornent les premiers articles antennaires.
Le couple interrompt de temps en temps les frottements de têtes pour échanger des baisers.
Ah oui, ça fait de l’effet !
Source :
Thèse de doctorat de Dieter Matthes (1962) : Excitatoren und Paarungsverhalten mitteleuropäischer Malachiiden
Retrouvez une autre spécificité étonnante des Malachius :
Une écorce décollée sur le tronc d’un arbre mort tombé au bord du chemin me tente : je jette un coup d’œil dessous, pour voir. Oh oh, un carabe à reflets d’or y est caché, à demi enfoui dans le bois pourri !
Il est bien tard en saison pour hiverner encore… Je le sors de sa cachette, mais il fait le mort ! Je le titille un peu et dois me rendre à l’évidence : ce carabe est vraiment mort. Et quelque chose d’étrange dépasse longuement de sa bouche. Serait-ce un champignon ?
Cela me rappelle un reportage sur des Cordyceps asiatiques. Ces champignons filiformes qui parasitent des chenilles enfouies dans le sol sont patiemment récoltés dans les alpages par les paysans tibétains, car ils sont réputés en médecine traditionnelle chinoise, notamment pour lutter contre l’impuissance. Ces « champignons-chenilles » atteignent des prix astronomiques, au détail, dans les pharmacies spécialisées de Pékin : plus de 100 € le gramme !
Existerait-il des Cordyceps susceptibles de parasiter les carabes ? Mes recherches me mettent sur une très bonne piste : une espèce présente en Europe est effectivement spécialisée dans les carabes ! Cordyceps entomorrhiza parasite les larves de carabes et aussi, mais plus rarement, les adultes.
Ce sera le seul champignon de la sortie, mais pour le coup une vraie rareté, et premier signalement régional de l’espèce sur Cettia !