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La fleurette et le camionneur

Le camion stoppe au feu rouge et la vitre du conducteur se baisse : « Sans vous déranger, Monsieur, qu’est-ce que vous photographiez ? »

Je me relève. « C’est une petite plante rare qui fleurit là  le long du caniveau.  »

« Sans blague, j’ai la même dans la cour de l’entrepôt, il paraît qu’elle vient d’Allemagne ! C’est quoi son nom ? »

« Le cranson du Danemark » lui dis-je.

« Ah ! Merci! » Le feu est repassé au vert. Ca alors, un camionneur botaniste, je ne l’aurais pas cru. Vilain préjugé…

cochlearia danica ou le cranson du Danemark © Gilles Carcasses
cochlearia danica ou le cranson du Danemark © Gilles Carcassès

Mais que fait-il là  ce cranson ? C’est une plante rare, spécialiste des dunes et des falaises du littoral. Quel rapport avec le terre-plein central de la N184 ? La réponse est dans le sol : le sel ! Cette plante halophile tolère les fortes concentrations salines dues aux embruns ou aux opérations répétées de salage hivernal. Elle s’installe là  où rien d’autre ne peut survivre : le bord du bitume sur les voies très salées.

Mais comment est-elle venue ? Des autoroutes côtières des pays du Nord, les graines ont été peu à  peu portées par le souffle des camions (les savants ont inventé pour cela le super mot d’anémoagestochorie). Elle se déplacerait ainsi de 30 km par an. Le phénomène s’est manifesté dans les années 1970 sur des bords d’autoroutes aux Pays-Bas. Signalé dès 1986 en Allemagne, le cranson aurait entrepris l’invasion de la France routière vers 1990. Il a été repéré à  Paris, dans le Val d’Oise, en Yvelines, en Normandie…

Une dernière question : pourquoi y a-t-il plus de cransons sur les terre-pleins que sur les bas-côtés des routes ? Quelques savants ont émis l’hypothèse que sur les bas-côtés les cransons sont contrôlés par les limaces. Pour aller manger du cranson sur le terre-plein central, il paraîtrait que celles qui ont essayé de traverser les voies auraient eu des problèmes…

la forme des fruits et des feuilles aide à  l'identification de cette espèce © Gilles Carcasses
la forme des fruits et des feuilles aide à  l’identification de cette brassicacée © Gilles Carcassès

Source :

http://pierreo.cochard.free.fr/cv_poc/Cochard_Cochlearia.pdf

Voir aussi :

https://www.editions-ulmer.fr/editions-ulmer/la-fleurette-et-le-camionneur-a-la-decouverte-de-la-nature-en-ville-coup-de-coeur-2017-de-l-ajjh-529-cl.htm

8 réflexions au sujet de “La fleurette et le camionneur”

  1. Trois ans après la publication de votre article, je viens de tomber par hasard sur votre ouvrage au titre éponyme, à  la librairie du Potager du Roy de Versailles ! Je ne manquerai pas de l’emporter sous le bras et de transmettre au fil des occasions aux adhérents de Pépins production vos petites histoires qui auraient plu à  Jean-Marie Pelt….. C’est un plaisir de vous suivre, sur les recommandations de Françoise Faury qui m’avait recommandé votre blog après lui avoir fait découvrir le mien plus modeste, et qui soutient aussi l’initiative de http://www.pepinsproduction.fr

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